Il Divo : catilinaires

Critique
de Paolo Sorrentino
118 minutes 2008

"La vie spectaculaire de Giulio Andreotti" : le sous-titre du nouveau film de Paolo Sorrentino, justement récompensé par le prix du jury, pourrait passer pour une antiphrase, tant le leader de la défunte Démocratie chrétienne (sept fois président du conseil entre 1972 et 1992) symbolise la politique à l’ancienne, faite d’intrigues de couloir, d’arrangements et de combinazioni, tant il incarne, de l’autre côté des Alpes, l’immobilisme gouvernemental.
Mais la mise en scène brillante de Paolo Sorrentino parvient à tirer de ce sujet a priori aride une satire aussi féroce qu’esthétique, renouant avec la grande tradition cicéronienne de la dénonciation de la corruption. Malgré son air à la "Droopy" (visage fermé, oreilles qui tombent, regard faible) Andreotti (interprété par l’acteur Toni Servillio) est animé d’une ambition dévorante qui se lit dans ses répliques qui tombent comme un couperet. Quant aux hommes de son "courant", Sorrentino les filme comme une bande de brutes et de truands léoniens (ralenti et sifflement à l’appui), affublés de surnoms grotesques ("Sa Santé", "Le Requin", "Citron"…) et de trognes patibulaires. Si une scène fait référence au Dictateur de Chaplin (le dircom qui surfe sur les parquets cirés d’un immense couloir de palais gouvernemental), Andreotti nous apparaît même sous les traits du chef de Spectre des James Bond, à travers un duel improbable avec une chat persan. Au rythme de la langue italienne, le film va vite, très vite, nous emportant dans un tourbillon de séquences, rythmées et efficaces, qui parfois se figent en visions dantesques : ainsi de ce plan qui à deux reprises, nous montre le vol d’une voiture calcinée, celle du juge Falcone (assassiné en 1992), comme une métaphore de l’abîme où sombrent justice et intégrité. La densité du propos nous noie aussi sous le flot des informations, comme une manière de dire l’inextricable chaos italien : Andreotti a été mêlé, de près ou de loin, à presque tous les scandales de la vie politique italienne des vingt dernières années, des assassinats du juge Falcone et du général Della Chiesa, jusqu’au procès des repentis de la Mafia, en passant par la loge maçonnique P2. Derrière la complexité de ces "affaires", une impression surnage, celle de la culpabilité d’Andreotti, souvent condamné, toujours relaxé en appel.

Avec sa fascination pour les figures antithétiques du sublime (la jeune et pure mariée) et du grotesque (l’affreux usurier), L’Ami de la famille faisait penser aux romans de Victor Hugo. L’ironie dévastatrice d’Il Divo évoque cette fois le poète des Châtiments. S’il place en exergue cette citation de la mamma d’Andreotti : "Si tu ne peux pas dire du bien de quelqu’un alors, ne dis rien", c’est pour mieux défaire cette loi du silence… Et c’est tout le courage du film de faire résonner à la fois la voix du fantôme d’Aldo Moro, empoisonnant la conscience d’un Andreotti migraineux, et le nom de Silvio Berlusconi ("présent" en Sélection officielle il y a deux ans via Le Caïman de Moretti), qui prospéra sur les ruines d’un système dont il avait copieusement profité.

Il Divo de Paolo Sorrentino
Sélection Officielle, en compétition
Palmarès : Prix du Jury
Sortie du film prévue : le 12 décembre