Anna Karénine©Universal Pictures

Un train nommé désir

Critique
de Joe Wright
131 minutes 2012

L'adaptation du roman fleuve de Tolstoï (1877) par Joe Wright (réalisation) et Tom Stoppard (scénario) est une indéniable réussite. Baroque et flamboyant, ce film en costumes nous plonge dans les affres de la passion qui unit Anna Karénine (Keira Knightley), une jeune aristocrate mariée à un haut fonctionnaire (Jude Law), et le comte Vronsky (Aaron Johnson)  fringuant militaire de l'armée impériale, en évitant les lourdeurs de la reconstitution historique empesée.

La première partie du film est à cet égard un régal : le monde d'Anna est un théâtre, une scène où la passion exhibe ses artifices tout en se déclarant. Le film oscille constamment entre foisonnement et dépouillement : pour le dépouillement, la scène d'Anna quittant son fils sous une table recouverte d'un drap blanc où trône un train d'enfant réussit la gageure de réunir tous les éléments de la tragédie en un plan, mais aussi les plans dans les cintres du théâtre qui dévoilent les coulisses de l'âme et le trouble d'Anna. Pour le foisonnement, la scène de bal et la course de chevaux constituent autant de morceaux de bravoure qui ravissent le spectateur. L'irrigation du cinéma par le théâtre nous rappelle sans cesse la célèbre formule de Victor Hugo qui proclame la supériorité de l'art dramatique  : "Le théâtre n'est pas le pays du réel: il y a des arbres de carton, des palais de toile,un ciel de haillons, des diamants de verre, de l'or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessus terre. C'est le pays du vrai. Il y a des coeurs humains sur la scène, des coeurs humains dans la coulisse, des coeurs humains dans la salle". Mais ce qu'il y a de plus réussi dans cette adaptation, c'est peut-être le traitement du thème du train, à la fois Choeur antique qui scande la tragédie d'Anna, et présence angoissante aux accents quasi lynchiens.

Plus d'un siècle après la parution du roman, Anna et Vronsky (modèles possibles d'Ariane et de Solal dans Belle du Seigneur) nous émeuvent toujours autant, et toujours plus que Kitty et Lévine pour qui pourtant penchait le coeur de Tolstoï, Tolstoï qui en disciple de Schopenhauer considérait l'amour comme une illusion destinée uniquement à cacher la nécessité de se reproduire.