Comme un lion©Pyramide Distribution

Comme un lion : entretien avec B. Cremonesi et J. Gout

Entretien
de Samuel Collardey
102 minutes 2013

Un film sur le sport

Bruno CREMONESI : Comme un lion est un film intéressant parce qu'il traite du sport en tant que tel, et qu'il le fait de manière intelligente. Souvent au cinéma le sport n'est qu'une toile de fond, un prétexte à l'histoire. Là le football est vraiment traité en tant que tel, de l'intérieur, et comme un vrai enjeu dramatique. Le film montre également le sport comme un fait social total, qui travaille la société en profondeur, qui influe énormément sur la vie de quartier. Dans le moindre petit bled rural, dans la banlieue la plus déshéritée il y a toujours au moins un club de foot : c'est une forme très importante de lien social. On voit très bien dans le film les passions de toutes sortes que le sport soulève, et comment la vie de cette petite ville tourne autour de l'équipe de foot.

Julien GOUT : Je trouve intéressant de montrer que la passion de ce jeune pour le football en tant que "jeu" prend le pas sur sa désillusion et le pousse à intégrer une équipe, aussi modeste soit-elle. La relation entre le joueur et l’entraineur est aussi, selon mon expérience dans le milieu amateur, plutôt révélatrice du type de relation qui peut s’instaurer entre un joueur doué et passionné et un entraîneur investi. 

De l'Afrique à la France : commerce ou trafic ?

Bruno CREMONESI : La première partie est très intéressante : cette tranche de vie d'un jeune sénégalais qui va se retrouver en Europe attiré par l'eldorado du foot professionnel. Derrière son parcours, il y a toutes les questions de l'immigration, de l'inégalité Nord-Sud, d'une forme de néo-colonialisme. On voit très bien comment les perspectives de fortune financière et de gloire symbolique constituent un irrésistible aimant pour les jeunes Africains, alors que la réalité du foot professionnel en France ce sont plutôt les petits salaires, l'absence de formation et de perspectives d'avenir.

Julien GOUT : Cette première partie est quand même un peu timide quant au rôle des clubs professionnels et au manque d’intervention des instances par rapport à ce "commerce" de jeunes footballeurs. L’agent camerounais et l’agent français sont présentés comme les premiers coupables. Il est vrai que ces agents (ou pseudo-agents) sont les principaux acteurs de ce système, mais alors les clubs professionnels en sont les véritables "metteurs en scène". Si ces agents fonctionnent sur un modèle qui consiste à faire venir un maximum de joueurs à l’essai (afin de s’assurer que certains au moins seront recrutés), c’est aussi et surtout parce que les clubs de football professionnels engagent des "scouts" souvent rémunérés à la commission. De la même manière, les instances fédérales, qui représentent l’Etat dans l’activité football, ne font rien pour enrayer ces dérives. Pour travailler actuellement dans le football en ile de France et y avoir créé une section sportive scolaire football, je vis quotidiennement cette problématique en étant confronté aux "yeux" des centres de formation lors des différents temps de pratique auxquels les joueurs participent. Le même problème se pose avec de nombreux jeunes qui partent "à l’essai" dans des clubs et qui reviennent bredouille dans leur quartier, où ils sont ensuite montrés du doigt. Une autre problématique est produite par ce système, celle des joueurs recrutés par des centres de formation alors qu’ils sont encore jeunes (14-15 ans) et qui voient les portes se refermer juste avant de passer professionnel à 19-20 ans, sans aucune qualification, et ravagés par un espoir anéanti au dernier moment.

Bruno CREMONESI : Sur ce sujet je signale un très beau roman pour la jeunesse, Je préfère qu'ils me croient mort d'Ahmed Kalouaz, paru en 2011. Il raconte sensiblement la même histoire, d'un jeune africain "importé" en France et ensuite abandonné par son pseudo-agent.

Le football amateur

Julien GOUT : La thématique du clivage entre football amateur et football professionnel est selon moi très importante. On perçoit bien à travers l’histoire de ce jeune que la performance au niveau amateur ne garantit pas de pouvoir montrer ses qualités au niveau supérieur. Les centres de formation fonctionnent en vase clos et préfèrent s’en remettre à l’avis d’agents "scouts", souvent plus intéressés par leur propres intêrets que ceux des joueurs et des clubs, plutôt qu’au travail régulier des clubs amateurs. Or la performance dans des compétitions amateurs devrait constituer une garantie sur laquelle s’appuyer pour les clubs professionnels.

La trajectoire de Mytri et les critères de recrutement

Bruno CREMONESI : La dimension qui m'a le plus gêné dans le film c'est la trajectoire un peu irréaliste du héros : on a l'impression qu'il suffit qu'il aligne trois dribbles pour qu'on lui déroule le tapis rouge. Bien sûr c'est un conte, ça fait partie de la fiction : mais si je montre le film à mes élèves, c'est justement une critique qu'il faudra les amener à formuler. 

Julien GOUT : C'est une caricature, mais justement elle est intéressante, parce que révélatrice. Je trouve que ce film met bien l’accent sur l’intérêt des clubs professionnels pour ce qu’ils appellent la "perle rare", le diamant brut doté de qualités techniques individuelles spectaculaires qui permettront au club de le vendre et de réaliser une plus value commerciale.

Bruno CREMONESI : En tant qu'enseignants de sport nous combattons cette idée du "talent". On ne devient pas footballeur professionnel uniquement par son talent : c'est un cocktail de performance, de stabilité psychologique, d'encadrement familial… Contrairement aux idées reçues, tous les pratiquants compétitifs ne viennent pas de milieux défavorisés. C'est pour cela que le personnage de l'entraîneur est un contrepoint intéressant : il avait autant de talent que le jeune héros à son âge, ça ne l'a pas empêché de rater sa carrière. C'est révélateur de la trajectoire d'une majorité de bons joueurs qui n'arrivent pas à percer. L'autre chose à ajouter c'est qu'en football la dimension tactique, l'analyse du jeu sont de plus en plus importantes. Zinedine Zidane n'était pas le meilleur dribbleur de sa génération : c'est sa vision du jeu, son intelligence tactique, sa capacité à anticiper qui en ont fait un joueur d'exception.

Julien GOUT : Il faut d'ailleurs signaler que ces modalités de recrutement, longtemps sclérosées, sont depuis deux ans (et la réforme de la Direction technique Nationale, qui fait suite aux dix ans de traversée du désert du football français) en train d’évoluer vers une part plus importante réservée à l’intelligence collective des joueurs et à l’état d’esprit, au-delà des seules qualités individuelles, physiques ou techniques.

Bruno Cremonesi est professeur d'EPS en Seine-Saint-Denis, responsable national du SNEP-FSU, chargé du secteur Éducatif
Julien Gout est professeur d'EPS en Seine-Saint-Denis, Responsable de Section Sportive Football et éducateur Sportif Option Football