Divines©Diaphana Distribution

Divines : banlieue tragique

Critique
de Houda Benyamina
105 minutes 2016

Divines met en scène une jeune héroïne, Dounia (Oulaya Amamra), en rupture de ban scolaire et familial, qui avec son amie Maimouna (Déborah Lukumuena), issue d'une famille pieuse, rêve à une vie meilleure, résumée par le mantra "money, money, money". Elle voit en Rebecca (Jisca Kalvanda), la dealeuse de la cité, le seul moyen de parvenir à ses fins et décide par tous les moyens de lui devenir indispensable. À mesure que son rêve de réussite se concrétisera et malgré l'issue heureuse qui lui tend les bras sous les traits d'un jeune danseur, la tragédie péri-urbaine se refermera sur elle et Maimouna.
D'emblée Houda Benyamina affiche ses modèles : Scorsese et Leone pour les réalisateurs, Brando et De Niro pour les acteurs, à la différence qu'ici les personnages sont féminins et que le réalisateur est une réalisatrice. Les interprètes de Dounia et Rebecca, notamment, jouent avec bonheur de cette imprégnation. Avec leurs mines renfrognées et leurs regards butés, elles renouvellent les clichés d'un jeu viril et furieux. La fameuse réplique "T'as du clito", posée comme équivalent de "T'as des c…", impose ainsi au premier plan des personnages féminins que le genre voue traditionnellement aux seconds rôles, ou cantonne dans une féminité caricaturale (glamour fatale ou destroy).

Mais cette saillie masque pourtant un féminisme plus complexe. Si la réappropriation féminine des codes virils, déjà à l’œuvre dans Bande de filles de Céline Sciamma (mais exploitée ici dans une veine plus comique), ne trahit pas la réalité (les enquêtes sociologiques montrent que les filles doivent de plus en plus adopter, pour s’imposer, les codes de la virilité), elle la présente sous un jour plus bienveillant : les femmes sont des hommes comme les autres, et s'il est revigorant de voir le "mâle", tour à tour, abêti et détroussé (par Dounia) ou objectivé sexuellement (par Rebecca), c'est aussi parce que la masculinité est sacralisée à travers le corps du danseur. Les séquences qui le mettent en scène instaurent un rapport au corps sensuel et esthétique, auquel fait écho le personnage du travesti, oiseau de nuit protecteur, homme ET femme.

Deux rythmes travaillent le film. Le premier, imprévisible et haletant, fait de courses et de poursuites, d'engueulades et de tensions, tire le spectateur à hue et à dia sans qu'il sache où il va se retrouver à la séquence suivante. Le second tisse en silence la toile dans laquelle vont se prendre Dounia et Maimouna. Quand les deux rythmes se rejoignent, celui de l'action et celui du destin, il est trop tard, l'hyper-activité des personnages les a rendues aveugles, le comique laisse place au tragique. Ce destin final, cette impossible issue, Houda Benyamina nous dit que ce n'est pas uniquement celui des personnages, c'est aussi celui de ces banlieues, espaces labyrinthiques dont on ne sort pas. Et c'est toute l'intelligence du film que de se faire passer tout du long pour un film d'action, avant de se révéler réflexif dans son sidérant dénouement : le spectateur est amené à cheminer en arrière pour comprendre comment on a pu en arriver là, sans que la faute en incombe à quiconque alors que la culpabilité pèse sur chacun.

Divines est un très bon film à conseiller aux élèves de lycée, voire à montrer en complément d’une analyse des ressorts de la tragédie antique et classique ou pour illustrer une réflexion sur les stéréotypes de genre.