120 battements par minute de Robin Campillo © Céline Nieszawer

Les années SIDA racontées du côté des militants d'Act Up

Critique
de Robin Campillo
140 minutes 2017

C’est un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… Celui de ce qu'on appelle parfois les "années SIDA", soit l’effroyable hécatombe qui décima la France (et notamment la communauté homosexuelle) entre le début de l'épidémie du VIH et la mise au point des traitements par trithérapie… Ces années terribles, 120 battements par minute les raconte non du point de vue des victimes ou des témoins, mais de celui des combattants : les militants d’Act-Up Paris, association fondée en 1989 pour lutter contre l’inertie des pouvoirs publics et économiques et redonner le pouvoir aux malades…

Ample fresque des premières années de l’association, nourrie par les souvenirs du réalisateur (qui y fut bénévole) et de son co-scénariste Philippe Mangeot (qui en fut un des présidents), le film de Robin Campillo vaut d’abord pour sa recréation minutieuse de ce que fut Actup : ses méthodes d’action novatrices et spectaculaires (les "zap", les "die-in"…), son utopie de démocratie interne (le travail en commission, les assemblées hebdomadaires), dont les enseignements continuent à irriguer le militantisme d’aujourd’hui (il serait intéressant d’en traquer les traces dans L’Assemblée, le documentaire que Mariana Otero a consacré au mouvement Nuit Debout) ; sans oublier le formidable travail d’empowerment de populations discriminées (homosexuel-le-s, prostitué-e-s, toxicomanes) pour leur affirmation dans l’espace public, étape nécessaire à la mise en place de politiques de prévention efficaces… Car si 120 battements par minute est un vrai "film d’époque", c’est moins par son usage — discret —du décorum (costumes, décors, musique) que par sa reconstitution des mentalités d’une époque où, comme le rappelle le réalisateur, "l’homophobie était la norme".

On ne saurait toutefois réduire le film de Robin Campillo à sa dimension documentaire. Rendant hommage à des gens qui firent "de la politique à la première personne" (comme le dit un des personnages du films), 120 battements par minute ne fait pas l’économie du romanesque. Embrassant dans sa première heure le groupe et ses méthodes, le film se resserrera ensuite sur le couple formé par Nathan (Arnaud Valois) et Sean (Nahuel Perez Biscayart). L’un est séropositif, l’autre pas, et le spectateur sait d’emblée ce que cela signifie. Consacré à la lente agonie de Sean, la dernière partie du film réunira à nouveau, in extremis, la communauté militante, autour d'une des actions les plus marquantes du groupe. La beauté du film est ainsi d’embrasser jusqu'au bout le politique et l’intime, le corps et l’esprit, Eros et Thanatos, fondant en un continuum bouleversant manifestations, scènes de danse et scènes d’amour. Ovationné longuement par le public et la critique, 120 battements par minute constitue l’un des premiers chocs de ce Festival de Cannes…