Le collier rouge©Apollo Films

La Première Guerre mondiale à hauteur de soldat

Critique
83 minutes 2018

Une enquête policière

À l’été 1919, un ancien héros de guerre (Nicolas Duvauchelle) est retenu prisonnier dans une petite ville du sud de la France. Le juge militaire, envoyé pour démêler cette affaire qu’il croit simple, est rapidement confronté à l’obstination de l’ancien soldat, qui refuse que sa faute soit passée sous silence. Construit comme une enquête policière, le nouveau film de Jean Becker tient son spectateur en haleine grâce à une alternance dynamique entre les scènes d’interrogatoire dans la petite cellule de la prison et les flashbacks qui nous emmènent sur les différents lieux de la guerre. Le spectateur, qui n’en sait jamais plus que le juge, est partie prenante de cette enquête, découvrant en même temps que lui ce qu’a fait Morlac et les motivations de son geste.

Micro-histoire et grande Histoire

Ce dynamisme narratif n’empêche néanmoins pas un certain flou dans la définition des enjeux de l’enquête. Alors qu’il s’agit pour Lantier du Grez (le juge) de décider de la vie ou de la mort de Morlac, les deux personnages ont souvent une attitude débonnaire, comme s’ils perdaient de vue la finalité de leur confrontation. De même, la résolution de l’enquête peut être frustrante pour le spectateur contemporain : au regard de nos standards actuels, le geste de Morlac, dont la révélation se fait attendre pendant tout le film, apparaît véniel. Il faut donc, pour bien comprendre l’enjeu du « crime » de Morlac, se tourner vers le contexte historique dans lequel il s’inscrit. À cet égard, les nombreux flashbacks du Collier rouge en font une très bonne conclusion à l’étude de la Première Guerre Mondiale, rendant concrets des éléments importants du conflit.

Une mise en images de la Première Guerre Mondiale

Sa très grande richesse historique est d’ailleurs le principal atout du Collier rouge. Grâce aux flashbacks de Morlac, le film revient d’abord sur l’ordre de mobilisation générale, et le peu d’enthousiasme des hommes concernés - qui ne partaient décidément pas « la fleur au fusil ». Le film montre bien que les autorités devaient aller chercher les recrues jusque sur le pas de leur porte, en pleine campagne, pour éviter qu'ils s'échappent. Le Collier rouge se penche ensuite sur l’expérience combattante, et le récit de Morlac se fait à ce moment-là particulièrement saisissant. La violence des scènes de bataille contraste avec la représentation d’une « guerre de position » dans laquelle les soldats n’auraient fait qu’attendre. Dans le film, les combats vont jusqu’au corps-à-corps, et la sauvagerie du conflit s’incarne autant dans l’utilisation de baïonnettes (vestige des guerres anciennes) que dans le recours aux obus (symboles des moyens modernes de la guerre).

Le front d’Orient et l’influence de la révolution russe

La singularité du Collier rouge est également liée au lieu choisi pour les scènes de guerre : le film sort de l’habituel schéma France/Allemagne pour nous emmener sur le front d’Orient (à l'instar de ce qu'avait fait Bertrand Tavernier dans Capitaine Conan), à Thessalonique, dans des paysages paradisiaques qui ne correspondent pas à l’image d'Épinal de la guerre de tranchées. Là-bas, l’armée française d’Orient est alliée aux Russes, aux Britanniques, aux Italiens et aux Serbes pour combattre les Bulgares, les Austro-Hongrois, les Allemands et les Turcs. La mise en images de ce front d’Orient est donc une manière d’insister sur le caractère mondial de ce conflit qu’on réduit souvent à l’affrontement franco-allemand.
Au vu des efforts consacrés à la reconstitution du conflit, il n’est pas étonnant que la plus belle scène du film soit issue d’un de ces flashbacks. Elle se déroule en 1917, un soir où Morlac décide de se rendre dans la tranchée des Russes. Il y trouve des soldats en pleines réjouissances, célébrant la chute du tsar à grand renfort de chansons. La victoire des révolutionnaires et de leurs idéaux socialistes amène ensuite les soldats des armées alliées d’Orient à fraterniser avec leurs ennemis, la conscience de classe primant pour quelques instants sur l’appartenance nationale.

Merci à Laura Mougel, professeure d’histoire, pour sa contribution à cet article

Les plus :
- Une enquête policière qui tient en haleine
- Des flashbacks historiques qui témoignent de la grande complexité de la Première Guerre Mondiale

Les moins :
- Une réalisation sans éclats

Lien avec les programmes scolaires :
« L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945) » (Histoire, 3ème)
- La Première Guerre Mondiale au-delà du front franco-allemand
- La mobilisation générale
- L’extrême violence des combats
- Les mutineries
- La révolution bolchevique et son influence sur le conflit