Silent voice©Art house

Harcèlement scolaire : comment grandir quand on a été victime ?

Critique
130 minutes 2018

Chaque année en France, près de 700 00 enfants subissent des formes de harcèlement scolaire selon les chiffres du Ministère de l’Education Nationale. Le sujet, longtemps tabou, est devenu en 2015 une priorité nationale, et un enjeu de santé publique : la violence physique et morale infligée a souvent de lourdes conséquences sur le développement des enfants et des adolescents. Ce sont ces répercussions qui sont au coeur du film de Naoko Yamada, A Silent Voice, adapté du manga de Yoshitoki Oima. Ce film d’animation japonaise suit la vie d’Ishida, un jeune garçon qui a passé une partie de son école primaire à tourmenter une camarade, Nishimya, en raison de sa surdité, avant de voir sa classe se retourner contre lui et subir à son tour le harcèlement. Quelques années plus tard, solitaire et plein de remords, Ishida décide de s’excuser auprès de Nishimya, pour laquelle il a même appris la langue des signes.  

Une réflexion complète sur un phénomène complexe
 
D’emblée, A Silent Voice évite le manichéisme et privilégie la compréhension. La réalisatrice plonge ses spectateurs dans le quotidien des victimes, en transposant assez littéralement le sentiment d’oppression. L’environnement devient visuellement, sensiblement agressif, peuplé de visages fermés et de chuchotements, et on ressent avec justesse l’isolement subi par Ishida dans son collège. Pour autant, le film n’évacue pas la psychologie des enfants harceleurs. Que ce soit le protagoniste, ou ses camarades de classe complices, chaque personnage est approfondi, et si certain.e.s finissent par comprendre leur erreur, d’autres, comme Ueno, restent bloqués dans un cycle de violence, alimenté par la quasi absence de figure d’adultes. Car A Silent Voice met l’accent sur la responsabilisation des enfants : qu’il soit harceleur, complice ou simple témoin passif, tous les personnages devront vivre avec les conséquences de leurs actes. Ce n’est qu’en acceptant de reconnaître ses erreurs et en faisant vraiment preuve d’empathie qu’Ishida finit par trouver l'amorce d’un salut. Ce message est beaucoup plus intéressant pour une classe d’élèves qu’une simple leçon de morale. On peut déplorer cependant que le film ne s’intéresse volontairement que très peu à ce qui semble être la cause principale des moqueries subies par Nishimya : sa surdité. La notion de rejet de la différence et du handicap n’est que très peu exploitée, et la réalisatrice semble surtout vouloir faire de son film une histoire d’apprentissage plus classique.

De l’enfance à l’adolescence
 
A Silent Voice mêle en effet différentes temporalités de l’enfance, dans un rythme parfois décousu. Les souvenirs de la primaire se confondent avec le présent du collège, comme un passé brouillé que le personnage principal voudrait à tout prix oublier mais qui colle à son quotidien. Une belle idée malheureusement parfois un peu confuse, et qui étale le film dans sa longueur. Mais le film se distingue par sa représentation très juste de la période de l'adolescence. Comme beaucoup de garçons de son âge, Ishida se construit par ses relations sociales, il est une sorte de page blanche, complètement modelable par ses interactions avec autrui. C’est là l’une des grandes forces du film, et à la fois sa limite : l’identification semble beaucoup plus facile pour un public plus jeune. Parallèlement, la figure de la soeur de Nishimiya, Yuzuru, fait également le pont entre l’enfance et l’âge de raison de manière plus discrète et efficace. Elle passe d’une enfance volée à une adolescence plus apaisée par la force des évènements de sa vie, et notamment lorsqu’elle fait face à l’épreuve de la mort.

La question du suicide et de la mort
 
L’autre thème d’A Silent Voice est en effet celui de suicide. La question est abordée très tôt dans le film puisqu’on comprend assez vite qu’Ishida a voulu faire une tentative en raison des brimades et de l’isolement qu’il subissait. Visuellement, la réalisatrice joue ensuite avec les codes en plaçant son action le plus souvent possible au bord de ponts. Celui duquel Ishida voulait se jeter, mais aussi celui où il rejoint quotidiennement Nishimiya pour nourrir des carpes, symbole de la force et du courage dans la société japonaise, comme pour s’accrocher à son instinct de vie. Le film est parcouru de cette tension de mort, qui saisit aussi bien Ishida que Nishimiya, sans porter de jugement sur les envies suicidaires de ses personnages. La mort de la grand-mère de Yuzura et Nishimiya permet également d’aborder la mort d’une autre façon, plus apaisée.
Au final, A Silent Voice n’épargne rien à ses personnages, et part de la tragédie du harcèlement scolaire pour raconter l’adolescence en général, dans toute sa dureté et son amertume, mais également sa poésie et sa tendresse. Malgré quelques longueurs et certains codes culturels qui pourront dérouter un public occidental (et qui rendent compliqué une utilisation pédagogique), le film de Naoko Yamada saura certainement intéresser un public jeune et habitué à l’animation japonaise, tout en évoquant des sujets essentiels avec justesse.
 
Les plus :
Un traitement du harcèlement scolaire complet et qui donne la parole aux victimes
Une description sincère et fidèle de l’adolescence qui permet l’identification
Une réalisation aboutie
 
Les moins :
Des longueurs et un rythme trop incertain
Certains codes culturels qui pourront dérouter le public français