Les résistants oubliés de la Biélorussie

Critique
de Edward Zwick
137 minutes 2009

De l’oubli, Edward Zwick a voulu sauver les frères Bielski. Dans l’oubli, ils risquent pourtant de rester. Le cinéma peut se montrer cruel lorsqu’il confie à un film d’une facture trop classique la mémoire de grandes figures de la résistance, injustement ignorées du plus grand nombre. A ces hommes exceptionnels qui ont réussi à sauver 1200 juifs biélorusses des griffes de l’occupant nazi, il fallait assurément un film qui ait du souffle. Décevant entre-deux entre la grande production hollywoodienne et le film historique, Les Insurgés peinent à constituer un relais médiatique nécessaire à une large publicité de leur acte héroïque, qui fut seulement révélé en 1993 par le sociologue américain Nechama Tec et repris plus tard par l’historien Peter Duffy.

Le réalisateur de Blood Diamond tire des ficelles usées du film à grand spectacle, alors même que la patte d’autres réalisateurs aurait probablement permis d’ancrer davantage la geste des Bielski dans les esprits. L’itinéraire invraisemblable des rescapés juifs dans les forêts enneigées de Biélorussie aurait ainsi mérité un traitement aussi émouvant que celui que R. Polanski a réservé à Spilzmann dans le Pianiste. Leurs embuscades contre les panzers et les hommes de Wehrmacht auraient sûrement été grandis par une mise en scène époustouflante, telle que Steven Spielberg a su donner au débarquement en Normandie dans Il faut sauver le soldat Ryan. Le calvaire infernal qu’ils ont enduré, tant dans leurs villages face aux Einsatzgruppen que dans les ghettos, est filmé sans grande conviction : on est loin de l’émoi suscité par l’atmosphère nauséabonde des Faussaires de Stefan Ruzowitzky ou même de La Liste de Schindler de Steven Spielberg. Le personnage central Tuvia Bielski tient plus du nouveau Robin des Bois à la mode biélorusse que du résistant pris entre son devoir moral et ses faiblesses humaines, tels qu’on en trouve dans L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville. La platitude du film est d’autant plus regrettable qu’elle n’est pas compensée par un profond souci de l’analyse historique ; si Edward Zwick évite de lourdes erreurs, il ne fait qu’effleurer des aspects essentiels de la résistance des frères Bielski ou encore de l’invasion allemande en Biélorussie dès juillet 1941.

Alors même qu’elle n’est jamais abordée par Hollywood, le film passe rapidement sur la question du soutien des populations civiles aux Allemands aux débuts du conflit. Comme en Ukraine ou dans les Etats baltes, les nazis sont souvent accueillis comme des libérateurs en Biélorussie. Réputés plus « civilisés » que les dirigeants communistes, on imagine volontiers qu’ils aboliront les kolkhozes ou rouvriront les églises. Edward Zwick choisit également de montrer brièvement les débuts du génocide juif en Europe de l’est : seules quelques images sont consacrées à la Shoah par balles, un sujet pourtant au cœur des débats historiographiques actuels. Une seule scène évoque les différentes raisons de la déroutante passivité des juifs des ghettos : une dialogue trop court rappelle ainsi qu’ils hésitent entre attentisme, résignation, foi salvatrice et stratégies aussi subtiles que vaines pour gagner du temps. On regrettera enfin les allusions trop rares aux antisémitismes biélorusse et soviétique, qui furent pourtant à l’origine de violences et de purges.

Au total, le traitement trop superficiel de ces épisodes sombres de l’histoire du XXème siècle rend le film peu exploitable par les enseignants d’histoire-géographie qui ont à traiter, en classe de troisième comme de première, les phases de la Seconde Guerre Mondiale, la résistance et le génocide. A défaut de livrer un bon film, Ed. Zwick aurait paradoxalement gagner à en réaliser un franchement mauvais, ce qui lui aurait permis de susciter la polémique et ainsi de marquer les esprits. Ce n’est pas le cas. On se laisse plaisamment entraîner sur les pas de Touvia Bielski, qui est incarné avec une telle conviction par Daniel Craig que les spectateurs, à la sortie du cinéma, ne parlent que de lui.