Rafiki de Wanuri Kahiu © Météore Films

Un Roméo et Juliette africain et lesbien

Critique
82 minutes 2018

La pièce s’est jouée en deux actes. Le 12 avril dernier, quand Thierry Frémaux annonce la sélection de Rafiki au 71e Festival de Cannes, le Kenya tout entier se réjouit de la nouvelle. Le long-métrage de Wanuri Kahiu est en effet le premier film kényan présenté à Cannes. Mais quelques semaines plus tard, la célébration tourne court : alors que Rafiki reçoit les louanges du public et de la presse au Festival de Cannes, le film est interdit de diffusion dans son pays. Le Comité national de classification considère que le film « heurte la culture et les valeurs morales du peuple kenyan » et dénonce son « but évident de promotion du lesbianisme ». Au Kenya en effet, l’homosexualité masculine est toujours considérée comme une infraction pénale ; les lesbiennes sont rejetées par la société. Les héroïnes de Rafiki n’y échapperont pas : insultées, dénoncées, tabassées après avoir été surprises en train de s’embrasser, elles subiront en outre les remarques homophobes des policiers et l'opprobre de leurs parents.

Un cinéma "afro-bubble gum"

Rafiki raconte donc l’histoire d’un premier amour sacrifié sur l’autel de l’homophobie. Mais malgré ce fond très noir, le film refuse de céder aux sirènes du tragique. Depuis son premier film (en 2009), Wanuri Kahiu rejette les représentations misérabilistes de l’Afrique et des Africain·e·s (guerre, terrorisme, pauvreté, épidémies…) pour promouvoir « l’afro bubble gum art ». Avec ses couleurs vives, sa musique pop et son ton léger, Rafiki est avant tout un film joyeux et tendre. La mise en scène sensible de Wanuri Kahiu s’attache à rendre justice à la beauté vibrante de ce premier amour, et prend le temps d’introduire ses personnages (Kena la garçonne vs l’ultraféminine Ziki), et leur milieu (l’opposition politique des pères, réminiscence de Roméo et Juliette).  Le message qu’il porte n’en est que plus fort : face au bonheur ressenti par Kena et Ziki, la violence homophobe paraît encore plus révoltante.

Inscrire le film dans une culture mondialisée

Bien qu’ancré dans la géographie et les modes de vie de Nairobi (les moto-taxis, les snacks de rue, la messe du dimanche), le film s’inscrit dans une culture mondialisée dont tous les spectateurs·trices – particulièrement les jeunes – sont familiers. Le générique de début rappelle ceux des séries produites par Netflix, la bande originale, composée par plusieurs artistes kényanes, mobilise des sonorités et des rythmes qui la rapproche des tubes de Beyoncé ou de Rihanna, les séquences où Kena parcourt la ville sur son skateboard sont un clin d’œil aux clips diffusés sur la chaîne américaine MTV. 
Ces références culturelles mondialisées renforcent la capacité du spectateur à s’identifier aux héroïnes. Loin de l’Afrique « étrange » et « étrangère » que représentent souvent les cinéastes, Rafiki nous montre une jeunesse africaine qui partage de nombreux points communs avec la jeunesse occidentale.
Nul doute que ces éléments faciliteront l’identification, et permettront un riche travail sur le film en cours d'Anglais ou d'EMC : en plus d'introduire un grand pays africain anglophone, le film invite à réfléchir sur les stéréotypes de genre, les discriminations sexistes et l'homophobie.